Carpe Horas

Lettre de M. Francis de Miollis au journal L'Union1

Morlaix, 21 avril 1862

Monsieur le Rédacteur:

Seriez-vous assez bon pour accueillir la réclamation que j'ai l'honneur de vous adresser; elle intéresse l'épiscopat, justement jaloux de la considération de ses membres, et une famille honorable, gardienne naturelle de la mémoire d'un pieux évêque, mémoire qui peut souffrir, dans sa province et dans son ancien diocèse, de la publication d'un ouvrage qui a, dans le moment, un grand retentissement.

Dans ses Misérables, M. Victor Hugo met en scène un évêque nommé Myriel. Malgré ce nom de convention, les détails intimes qu'il donne sur l'origine, la famille, les habitudes, le caractère de charité inépuisable, les vertus évangéliques de son personnage ne peuvent laisser aucun doute sur son identité avec mon oncle, Mgr de Miollis ancien évêque de Digne.

D'abord les prénoms de l'évêque du roman et de l'évêque réel sont les mêmes; en second lieu, M. Hugo dit que son évêque Myriel était fils d'un conseiller au Parlement de Provence; qu'il avait été nommé curé de Brignoles en 1804, évêque de Digne en 1806; qu'il était encore connu sous le nom populaire de Bienvenu; qu'il avait deux frères, l'un lieutenant général, l'autre préfet, brave et digne homme, qui vivait retiré à Paris, rue Cassette. Tous ces détails se rapportent de la manière la plus exacte à mon vénérable oncle. Ce préfet, dont parle M. Hugo, c'était mon père, qui avait en effet son appartement rue Cassette, où il recevait de loin en loin la visite de M. Victor Hugo.

Lorsqu'il a ainsi désigné son évêque de manière à faire reconnaître, à des signes bien certains, le modèle sur lequel il a dessiné son personnage, M. Victor Hugo ajoute: « Nous ne faisons pas là un portrait invraisembable, nous nous bornons à dire qu'il est très ressemblant... »

Après avoir si clarement indiqué mon oncle, M. Victor Hugo n'avait plus le droit d'ajouter des détails complètement contraires à la vérité, et qui ont un caractère diffamatoire. « On contait, dit-il, que son père l'avait marié de fort bonne heure, à dix-huit ou vingt ans. Charles Myriel, nonobstant son mariage, avait, disait-on, fait beaucoup parler de lui. Il était bien fait de sa personne, quoique d'assez petite taille, élégant, gracieux, spirituel. Toute la première partie de sa vie avait été donnée au monde et aux galanteries... »

Il est de mon devoir de protester contre ces détails qui sont complètement faux, et de déclarer de la manière la plus formelle que les principes qu'on prête, en quelques circonstances, à l'évêque Myriel n'ont jamais été ceux de Mgr Miollis.

Mgr Charles Bienvenu de Miollis n'a jamais été marié. Tout le temps de sa jeunesse et de son sacerdoce a été marqué au coin de la plus fervent piété et d'une régularité exemplaire. Sa douceur évangelique a souvent été signalée dans des circonstances où la patience la plus exercée eût pu faillir. J'en appelle au témoignage de tous ceux qui ont pu le connaître en Provence jusqu'en 1843. La première partie de sa vie n'a donc pas été donnée au monde ni aux galanteries, et son caractère n'a pas offert le triste spectacle de ces violences toujours regrettables que M. Hugo prête à son évêque Myriel. Constamment fidèle à tous les devoirs de l'épiscopat, homme de charité, l'homme des pauvres, il a prêté le concours actif de son zèle aux autres classes de la société; riches ou pauvres, toutes ses ouailles lui étaient chères.

Quant à ses doctrines, elles n'ont jamais eu un caractère équivoque. Toute sa vie il a été le fidèle défenseur de l'Église et de la Papauté. La Révolution n'a jamais pu trouver en lui un adhérent, puisqu'il émigra en Italie pour rester fidèle au serment qui le liait à la chaire apostolique et fuir le schisme qui déchira si douloureusement en 1791 l'Église de France. M. Victor Hugo n'a pas moins offensé la vérité que les convenances, en montrant ce digne et saint évêque agenouillant la religion devant un libre-penseur et la dignité épiscopale devant un conventionnel.

J'ai l'honneur d'être, avec une haute considération, Monsieur, votre très humble serviteur.

Francis de Miollis

 

1 Journal légitimiste

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